Orangina ou l’histoire d’une appropriation coloniale

Orangina
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Orangina, délicieux soda pétillant à l’orange n’est plus à présenter, si son histoire est intimement liée à celle de l’Algérie et à la colonisation, les véritables origines de la boisson restaient méconnues.

Mais c’était sans compter sur le Dr. Arthur Asseraf, maître de conférences en histoire à l’université de Cambridge, dont les travaux portent sur l’histoire contemporaine du Maghreb, de la France, et de la Méditerranée. 

Du zeste espagnol dans la bouteille ronde

Tout commence à Boufarik (Blida), capitale des oranges dans les années 1930. Léon Béton, propriétaire d’une orangeraie et commerçant d’huiles essentielles achète en 1936, la recette de ce qui deviendra par la suite Orangina, à Agustin Trigo Mirallès, pharmacien espagnol.

La première bouteille d‘”Orangina, soda de naranjina” se composait alors de : concentré d’orange, d’eau sucrée gazeuse et d’un soupçon d’huile essentielle.

Le projet juteux a cependant dû être stoppé en raison de la guerre civile espagnole. Guerre qui a indirectement impacté l’Algérie, alors sous domination française, qui rappelons-le, comptait bon nombre d’espagnols en région d’Oranie entre-autres. 

“Le département d’Oran contient environ 100 000 Espagnols partisans, les uns du Front populaire, les autres du Front national, et qui s’efforcent de transposer en Oranie les passions et les haines de leur pays d’origine” _ extrait d’un message de la direction des Affaires algériennes du ministère de l’Intérieur datant du 12 novembre 1936.

La guerre civile espagnole s’achève en 1939 sur la victoire des nationalistes et l’établissement de l’État espagnol. Elle laissera place à la seconde guerre mondiale qui mettra définitivement en pause le projet juteux de Léon Béton. 

Quand la relève reprend les rênes

L’aventure Orangina reprend cependant en 1951 quand Jean-Luc Béton, fils de Léon Béton, fraîchement diplômé en agronomie, relance le projet. L’entrepreneur natif de Boufarik crée la société Naranjina Nord-Maghreb, par laquelle il produit et commercialise la boisson en Algérie.

Il offre une identité visuelle à la marque qu’il fera connaître grâce à son “génie marketing”. La bouteille d’Orangina arborera alors sa forme qui rappelle celle d’une orange. Elle fera l’objet d’une ingénieuse campagne publicitaire conçue par l’affichiste Bernard Villemot. 

Orangina

Qu’est qu’il y’a d’Algérien à tout ça, me direz-vous ? Monsieur Asseraf a la réponse. Lors de ses recherches, l’historien retrouve l’acte de naissance de Léon Béton, ses parents sont Joseph Béton et Fortunée Chekler, des noms typiquement juifs. Fortunée étant, selon l’historien, une traduction française courante du prénom Messaouda. 

 

Le même acte de naissance fait mention de la mère de Léon Béton. Une certaine Germaine Deraï (nom de famille porté par plusieurs rabbins célèbres), et sa femme Madeleine Ayache, encore des noms typiquement juifs. 

Juifs d’Algérie et colonialisme

“L’histoire d’Orangina semble être typiquement coloniale : les oranges étaient produites pour être exportées vers l’Europe sur des terres prises aux Algériens. Mais ce que nous voyons ici est plus complexe : une famille juive algérienne s’insérant dans le nouveau paysage économique généré par la conquête militaire et le colonialisme pour transformer les produits agricoles de manière innovante. Il ne s’agit pas d’une histoire de possession ou de dépossession.”, poursuit Arthur Asseraf.

Coté français, l’histoire d’Orangina et des Béton a toujours été compté comme celle de la communauté pied-noir au sens large. Cette version met surtout en avant le fait que les Béton aient été contraints de s’installer en France en 1961, à l’approche de l’indépendance de l’Algérie, et de créer une nouvelle usine à Vitrolles, près de Marseille.

Il s’avère que l’histoire de la limonade n’est pas quelque chose d’amusant…elle touche au cœur de la propriété foncière et de l’accumulation du capital sous le colonialisme”, déclare Asseraf. 

Orangina déserte les cafés algériens

Près de 50 ans plus tard, Orangina est un succès commercial indéniable…sauf en Algérie. Très prisée des Algériens jusqu’au milieu des années 1980, Orangina a aujourd’hui quasiment disparu des cafés

“Au début des années 1990, la marque a subi de plein fouet l’ouverture du marché aux Américains Coca-Cola et Pepsi, qui font désormais figure de boissons favorites des Algériens avec les fleurons nationaux Hamoud et Selecto”, écrit Jeune Afrique.

Orangina boisson espagnole algérianisée qui finit par être française ? Pas selon Arthur Asseraf. Au travers de ses recherches, l’historien restaure une grande partie de la vérité des origines algériennes de la marque.

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